Ville de Dinant
Commerce et artisanat à Dinant au Moyen Age  

Commerce et artisanat à Dinant au Moyen Age : le cas de la dinanderie

Une telle confusion entre toponymie et activité économique est exceptionnelle. Elle correspond cependant à la réalité médiévale : la fabrication de produits en laiton est largement répandue, à cette époque, dans la ville. Ce n’est pas le fruit du hasard. Le développement économique naît souvent de la complicité dynamique entre un savoir faire privé et une impulsion institutionnelle.

Substrat et naissance de la dinanderie

Ce savoir faire repose, à Dinant, essentiellement sur une incontestable maîtrise de la métallurgie du cuivre. A quelle époque cette activité se développe-t-elle ? Si nous l’ignorons encore, nous disposons toutefois de quelques indices. D’une manière générale, la métallurgie du bronze est attestée, à la faveur de fouilles récentes, dans la vallée de la Meuse, au VIIe siècle à Maastricht, à Huy et à Namur. A Dinant, on note la présence, sur base documentaire, d’un atelier monétaire au VIIe siècle, d’un tonlieu au VIIIe siècle, d’un pont et d’un portus, au IXe siècle, d’une foire (elle a lieu en novembre) vers la fin du Xe siècle, d’un marché, au milieu du XIe siècle, où l’on trouve des matières premières destinées à la métallurgie, et notamment du cuivre. On ne peut donc contester la présence, au plus tard au milieu du XIe siècle, d’une métallurgie du laiton à Dinant.  Toutefois, la présence de marchands dinantais n’est pas attestée à cette époque.  Pour expliquer cette absence, il faut remonter au Xe siècle. Le comte de Namur contrôle une bonne partie de la ville. Il est non seulement propriétaire, au nord et au sud, mais aussi avoué des biens dinantais des abbayes de Lobbes, Stavelot et Wausort, tandis que l’évêque de Liège possède l’ancien vicus mérovingien, situé entre la rue Saint-Martin, la rue Grande et la rue des Fossés. Le pouvoir politique est dans les mains du comte. Sur le plan économique, il considère la ville comme un domaine rural. Ce faisant, il ne favorise en aucune manière l’économie d’échange, pourtant bien présente à Dinant. Mais, à la fin du Xe siècle, l’empereur d’Allemagne soustrait le domaine épiscopal de la juridiction judiciaire (immunité) du comte au profit de l’évêque. A partir de ce moment, deux pouvoirs se font face, partageant le sol urbain en deux territoires bien distincts. L’évêque de Liège se lance dans la conquête de la ville. Il construit d’abord un château, en 1040, la clef de tout pouvoir après l’an mil. Il exerce ensuite des pressions sur l’empereur pour détenir, à Dinant, les droits régaliens, ce qu’il obtient en 1070. Le voilà seul maître dans la ville. 

Les textes évoquent alors non plus des hommes du comte, mais des citadins dès 1080, puis, pour la première fois, des bourgeois au nord de la ville, à Leffe, en 1126, et à Dinant même en 1152. Par ailleurs, la commercialisation de la dinanderie, probablement assurée par des marchands hutois et liégeois, est reprise par des marchands locaux avant 1171. Au plus tard en 1211, ils bénéficient de conditions spéciales au tonlieu de Cologne, pour le transit de leurs chariots de cuivre, d’étain et d’argent. Et ils exportent les produits en laiton vers la Flandre et l’Angleterre au plus tard au XIIIe siècle. Dinant vit alors au rythme des batteurs dont les chaudrons rencontrent un incontestable succès. 

L’archéologie

Cette réussite est attestée par le nombre important d’ateliers datés du XIIe au XVe siècles mis au jour dans toute la ville ces dernières années. Trois sites ont en effet livré près de 12 ateliers de dinanderie.

Alliage et mise en forme

La dinanderie désigne les objets façonnés en laiton, alliage de cuivre et d’un oxyde de zinc. Pour ce faire, plusieurs opérations sont nécessaires. On divise le processus en deux étapes principales : l’obtention de l’alliage métallique et la mise en forme. Le cuivre est acheminé depuis les gisements de l’est de l’Europe sous une forme solide, sans doute déjà en lingots. On doit y incorporer la calamine, oxyde de zinc de provenance régionale, moulue dans un moulin spécifique. L’alliage nécessite un savoir-faire et un mode opératoire précis, puisque les températures de fusion des deux minéraux ne sont pas les mêmes. Le laiton ainsi obtenu est alors mis en forme. Il est soit coulé sous forme de plaques, qui seront ensuite battues pour obtenir des objets par déformation plastique, soit dans des moules qui donnent directement la forme voulue. Les fours mis au jour à Dinant semblent en grande majorité destinés à la mise en forme des objets de cette dernière manière. En témoigne l’énorme quantité de moules usagés en terre cuite mis au jour.

Four pour la fonte du laiton (état archéologique)

Les ateliers

Les ateliers découverts sont toujours associés à un habitat. A l’arrière d’une maison familiale, l’atelier occupe une courette au sol de terre battue. Principale structure mise au jour soit au centre soit à l’arrière de la cour, le four à demi-enterré témoigne de l’activité métallurgique pratiquée.

Au sud de la ville, faubourg « en île » urbanisé au XIIIe siècle, sur une zone explorée de 2.000m2 environ, toutes les maisons sont équipées d’un atelier, dont l’évolution a pu être observée du XIIe siècle à 1466. Ce sont des ateliers familiaux, ou un seul four fonctionne à la fois. Ce quartier est historiographiquement reconnu comme principal lieu de production de dinanderie.  La découverte d’au moins un atelier dans le jardin d’une maison du centre ancien de la ville vient nuancer l’ancienne vision de la répartition spatiale de l’artisanat de la dinanderie : les artisans ne se cantonnent pas aux limites de l’île. Il s’agit là aussi d’un atelier familial dont l’utilisation est à peine antérieure aux ateliers insulaires.  Enfin, le faubourg nord n’est pas en reste. Trois ateliers y ont été mis au jour. Là, le laiton semble n’être pas fondu en moules, mais bien en plaques. Deux d’entre eux sont, comme ailleurs, des ateliers familiaux. Mais un troisième présente une organisation différente : plusieurs fours et cuves (de refroidissement ?) sont alignés le long d’une chambre de travail/aération commune, dans laquelle on pénètre depuis la cave de la maison avant. On y devine un souci d’organisation du travail différent.

La production et la diffusion

Les ateliers de l’île des batteurs sont aménagés à l’arrière de l’habitat. Dans certaines maisons, une pièce en façade est également réservée à cette activité professionnelle.  Dans un cas, la façade conservée est ouverte vers la rue par de grandes baies défendues par de solides barreaux métalliques. Son usage précis reste encore obscur : atelier pour les finitions ? stockage ? Vente ? Les ateliers mis au jour à Dinant semblent tous produire des objets utilitaires quotidiens, spécialement des chaudrons, d’après les éléments de moules observés. Si leurs confrères sont des généralistes de la vente, les marchands dinantais s’emparent d’une large part du négoce des matières premières métalliques et de l’exportation des produits de la batterie mosane. Un document signale même, de manière explicite, leur volonté de maximiser leur profit, signe d’une mentalité précapitaliste, tout à fait exceptionnelle à cette époque. A l’origine, ce sont sans doute des artisans qui ont évolué vers le commerce. Ils restent probablement au fil du temps rompus aux techniques de la métallurgie, source de leur succès. La dépression économique qui frappe l’Europe à partir de 1260 n’influence pas négativement leurs activités. 

 

Marmitte tripode (XVe s.)

Le déclin

En ce qui concerne la gestion de la ville, dans les limites fixées par l’évêque de Liège, les marchands font cause commune, à partir de 1348, avec les batteurs, en excluant les autres métiers. Le climat social restera tendu entre les parties durant un bon siècle. Alors que les relations entre ces autres métiers et Charles-le-Téméraire se détériorent, marchands et batteurs tenteront en vain de calmer le jeu, sans toutefois les associer à la gestion de la ville. Les autres métiers resteront sur leurs positions, ce qui entraînera, en 1466, le sac et la ruine de la ville par le prince bourguignon au point le plus bas de la dépression. La ville ne s’en remettra pas.

L’archéologie a fourni plusieurs exemples de cette destruction. Une série d’ateliers (et les maisons connexes) sont abandonnés et brûlés. D’autres ateliers semblent rester en activité, au moins temporairement, notamment au nord de la ville. Enfin, certains ateliers dont l’abandon est bien postérieur au sac de la ville ont également été mis au jour ailleurs en vallée de la Meuse. Charles-le-Téméraire porte donc un grand coup au métier des batteurs qui d’une part tentera de se remettre sur pied à Dinant, sans plus arriver au lustre antérieur, et qui d’autre part va migrer vers des cieux plus accueillants et rejoindre des artisans qui sont déjà bien implantés en d’autres villes comme Namur et Bouvignes, en affichant des prétentions moindres que celles des dinantais.

 Benoit Tonglet et Marie Verbeek